Semaine du 30 mai au 5 juin 2022

Le Portugal voit cette semaine le nombre de cas détectés augmenter à nouveau sous l'effet d'un nouveau variant. On peut supposer sans grande chances de se tromper qu'il en sera de même en France d'ici une quinzaine de jours. Comme le montre un article du Guardian que nous relayons cette semaine, l'effet de sous-estimation des cas est très important aux États-Unis et probablement aussi en Europe. Au moment où l'on se prive des moyens de surveiller l'évolution de l'épidémie, les milieux patronaux, eux, ne relâchent pas la pression: ÉconomieSuisse estime que les rappels de vaccin ne doivent pas être pris en charge par l'État: une manière de signifier qu'ils n'accepteront plus aucune tentative de prendre en charge collectivement la pandémie. Pendant ce temps, le nombre de cas de variole du singe détectés dans le monde a doublé en une semaine.

Autour d'un rappel des enjeux de la guerre en cours au sujet de la tarification à l'acte et d'une tribune de soignant.exs, nous soulignons que cette situation n'est pas le fruit de la fatalité, mais bien de choix politiques qui structurent la vision de la santé publique depuis près de 40 ans.

  • ÉconomieSuisse et les rappels de vaccin
  • Qualité de l'air dans les écoles: une enquête de Ktipp
  • Guerre des tarifs médicaux
  • Une figure de la scène négationniste: Ulrike Guérot
  • Le port du masque par la population ça marche pour réduire de manière importante la transmission du Covid-19
  • Nouvel angle mort : la sous-estimation du décompte de cas de Covid aux États-Unis
  • Quel système de santé souhaitons-nous ?

ÉconomieSuisse et les rappels de vaccin

Dans une réponse à la consultation de l'Office fédéral de la santé, la faîtière des organisations patronales se prononce favorablement à la prise en charge individuelle des coûts des rappels de vaccins. «Ce n'est pas à la collectivité de financer des actes médicaux liés à la possibilité de voyager». ÉconomieSuisse n'avait pourtant pas fait la fine bouche quand «la collectivité» a financé la réduction du temps de travail des salarié.exs pour permettre aux managers de s'octroyer des bonus et aux actionnaires de toucher des dividendes.

Qualité de l'air dans les écoles: une enquête de Ktipp

Le magazine suisse alémanique des organisations de consommateurs Ktipp connaissait l'existence d'une étude sur la qualité de l'air dans les écoles menée entre 2013 et 2015 pendant les périodes de chauffage. Pendant plusieurs mois, les journalistes du magazine ont cherché à connaître les résultats de ces mesures, sans succès, l'Office fédéral de la santé, auteur des mesures, refusait de les livrer. C'est finalement à la suite d'une procédure pour le droit à l'accès aux données que KTipp a pu accéder aux tableaux qui sont désastreux:

Hors situation d'épidémie, un taux de CO2 dans une pièce ne devrait pas dépasser 1000 parties par millions (ppm), le taux en extérieur étant d'environ 400ppm. Lorsque circulent des virus aéroportés, la contamination peut être évitée en gardant des valeurs inférieures à 600ppm dans les lieux où l'on ne peut pas porter de masque (cantines, réfectoires, etc.) et inférieures à 800ppm dans les salles de classes, salles de réunions, bureaux collectifs, etc.

Dix établissements scolaires de Berne et des Grisons ont eu des mesures à plus de 3000ppm, soit des taux qui, hors épidémie, sont considérés comme inacceptables du point de vue de l'hygiène.

L'intérêt de cet article est qu'il montre que des mesures de plus de sept ans montrant des concentrations inacceptables du point de vue de l'hygiène n'ont provoqué aucune prise de décision de la part de l'OFSP qui montre par là sa conception de l'école comme une sorte de lieu de sotckage des enfants pendant que les parents travaillent. Une conception que l'Office a pu démontrer pendant la période de pandémie: connaissant ces chiffres et connaissant le caractère aéroporté du virus, l'Office a pourtant renoncé à toute action dans les écoles (distribution d'appareil de mesure, règles de suspension des cours en cas de taux trop élevés, etc.)

Guerre des tarifs médicaux

La semaine a été marquée par un épisode supplémentaire dans la tragi-comédie de l'assurance-maladie suisse. Le Conseil fédéral a en effet rejeté une nouvelle fois le tarif (Tardoc) négocié entre l'association faîtière des assureurs maladie (Curafutura) et la Fédération des médecins suisses (FMH). Selon la tradition libérale suisse, ce sont en effet les assureurs et les médecins qui doivent se mettre d'accord sur les prix des actes de ces derniers, ou plus exactement sur les montants payés par les assureurs pour les actes médicaux. Mais le Conseil fédéral dispose de par la loi d'un droit de veto sur l'introduction de ce tarif, droit de veto qu'il a utilisé en 2020 et une nouvelle fois cette semaine. Diverses raisons sont présentées à l'appui du refus, mais la principale est sans doute le fait que plusieurs organisations faîtières ne sont pas signataires du tarif, ainsi SantéSuisse, l'autre faîtière des assureurs maladies ou l'organisation faîtière des hôpitaux H+.

Cette guerre bureaucratique pourrait sembler anecdotique, mais il faut considérer que la tarification à l'acte (que met en oeuvre un tarif comme Tardoc et avant lui Tarmed) est la colonne vertébrale du néo-libéralisme en matière de soin. Dans un récent livre d'entretiens, la sociologue Annie Thébaud Monny l'explique fort simplement pour la France où règne une tarification semblable sous le nom de T2A:

Avec la fameuse tarification à l'acte , c'est devenu catastrophique à l'hôpital du point de vue de la qualité des soins, puisque le budget n'est pas orienté vers les besoins des malades, mais exclusivement vers les actes techniques rentables. C'est-à-dire: une infirmière fait une piqûre, c'est comptabilisé comme un acte; mais si elle passe dix minutes dans la chambre d'un malade pour lui parler, la hiérarchie lui reproche de perdre du temps.

Ces listes de tarification à l'acte constituent une forme de taylorisation de la médecine, la prise en charge médicale étant découpés en petits morceaux susceptibles de facturation. Les tarifs à l'acte favorisent le travail mort (investissement en matériel, numérisation de la santé) contre le travail vivant (contact, suivi, relation). La prise en charge en Suisse de la pandémie de Covid-19 est significative à cet égard: à des mesures de prévention (tester, tracer, isoler) au niveau de communautés (quartiers, écoles, lieux de travail) visant à interrompre de façon précoce les chaînes de transmission, a été préférée une approche technique laissant les contaminations avoir lieu et les malades se dégrader au point de devoir subir des prises en charges techniques très lourdes (soins intensifs, intubation). Ces dernières pratiques sont en effet mieux rémunérées que les premières pour lesquelles, d'ailleurs, l'infrastructure n'existe plus.

Ce type d'approche aurait dû susciter, dès leur mise en place dans les années 1990, le rejet du corps médical, mais comme elles favorisent la fraction dominante de ce corps (les médecins-chefs, les spécialistes, les praticiens utilisant du matériel onéreux) elles ont au contraire été très bien accueillies et sont désormais un standard de l'économie médicale.

S'agissant de la situation actuelle de blocage du tarif par le Conseil fédéral, même si elle fait beaucoup de bruit dans la presse, elle ne change rien sur le fond. Tarmed reste en vigueur tant que Tardoc n'est pas approuvé, dans un cas comme dans l'autre c'est l'approche à l'acte qui prévaut. Le bras de fer entre assureurs, médecins, hôpitaux et autorités politiques est un combat entre différentes fractions des élites auquel ni les travailleuses et travailleurs de la santé, ni les malades, ni les citoyennes et citoyens ne sont conviéexs. Comme le soulignait Katharina Prelicz-Huber, députée Verte et présidente du Syndicat des services publics dans un article de la WOZ que nous avions relayé en mars: «On pourrait vraiment s’attaquer à d’autres points [que le tarif des soins] pour éviter les mauvaises incitations à des traitements inutiles – par exemple les salaires des médecins-chefs et des managers ou les versements de bonus. [...] Nous nous trouvons dans cette malheureuse tendance à l’économie sur les prestations et nous sommes prisonniers d’un système dans lequel nous ne pouvons pas faire grand-chose de plus que d’éviter le pire ».

Une figure de la scène négationniste: Ulrike Guérot

A la faveur d'une affaire de plagiat dans un de ses ouvrages récent, Ulrike Guérot se trouve sur le devant de la scène en Allemagne cette fin de semaine. Ce personnage est intéressant parce qu'il montre bien que le corpus d'idées complotistes et négationniste des effets de la pandémie n'est pas produit dans d'obscures officines et relayé par les réseaux sociaux jusque dans les têtes d'individus crédules.

Guérot est une figure typique de l'intellectuelle médiatique, présente depuis longtemps sur tous les plateaux de télévision et de radio pour parler de tout. Dotée d'une formation en sciences politiques, Guérot est attachée parlementaire du groupe CDU/CSU au parlement allemand dans les années 1990, puis collaboratrice de Jacques Delors au sein du think tank Notre Europe. Elle poursuit ensuite une carrière dans différents instituts académiques et fondations pour la recherche en sciences politiques. Elle est aujourd'hui professeure à l'Université de Bonn. Elle défend une Europe fédéraliste et régionaliste, ce qui veut tout et rien dire.

Pas vraiment un profil de Freiheitstrychler ou de hippie adepte des tisanes d'absinthe. Pourtant, dès mars 2021, elle signe, avec d'autres intellectuels, le Manifeste pour une société ouverte qui paraît dans Die Welt et qui reprend l'essentiel des éléments de la Déclaration de Great Barrington. Guérot soutien dès lors l'inutilité du port du masque, la nécessité des contamination pour obtenir l'immunité de troupeau. Elle appelle au renversement des autorités allemandes et à l'organisation d'un tribunal pénal international qui jugerait aussi bien Angela Merkel que Bill Gates et les concepteurs du vaccin Pfizer. Dans le même temps, elle développe un argumentaire sur l'hôpital qui doit, selon elle, redevenir plublic et offrir aux soignant.exs les mêmes salaires que ceux des managers... Depuis l'invasion de l'Ukraine par la Russie, elle défend également Vladimir Poutine (sur tout ce qui précède: article Wikipedia et ses sources ainsi que l'article paru dans la Frankfurter Allgemeine Zeitung)

Peu importe ce qui a provoqué cette dérive qui commence a gêner la bourgeoisie allemande vu la virulence des attaques dont Guérot fait l'objet dans la Frankfurter Allgemeine Zeitung, organe bourgeois par excellence. Nous importe ici de souligner que c'est au sein de la bourgeoisie que se constituent et se répandent ces idées.

Le port du masque par la population ça marche pour réduire de manière importante la transmission du Covid-19

Les auteurexs d'une étude parue cette semaine affirment que l'efficacité des masques pour réduire considérablement la transmission du Covid-19 dans les établissements de santé était connue mais pas concernant la transmission dans la communauté. A présent, c'est chose faite relate l'étude qui clarifie l'efficacité du port du masque pour contrôler la transmission du Covid-19 au sein de la communauté. Partiexs du constat qu'il existait des résultats contradictoires concernant le port du masque contre le Covid-19, iels soulignent que la plupart des travaux précédents se sont concentrés sur les décrets gouvernementaux de port du masque.

Considérant que l'efficacité des décrets gouvernementaux de porter un masque comme un mauvais indicateur de l'efficacité du port du masque en soi, les auteurexs ont analysé simplement l'effet du port du masque sur la transmission du Covid-19. Les données analysées couvrent 92 régions du monde sur six continents et comprennent la plus grande enquête sur le comportement de port du masque élaborée à partir de millions de personnes. Leurs conclusions: le port du masque par la population réduit considérablement la transmission. A un niveau moyen de port du masque correspond une diminution de 19% du nombre de reproduction R. L'article se termine par une invitation à l'action qui risque bien de rester un voeu pieux sans une forme de mobilisation : «À la lumière de ces résultats, les décideurs politiques peuvent réduire efficacement la transmission en intervenant pour augmenter le port du masque.»

Nouvel angle mort : la sous-estimation du décompte de cas de Covid aux Etats-Unis

Cette semaine, un article du journal anglais The Guardian traite du problème de la sous-estimation du décompte des cas de Covid-19 aux États-Unis. Les auteurexs d'une étude sur la recrudescence de la maladie dans la ville de New York affirment que les décomptes officiels de cas de Covid-19 pourraient être sous-estimés par un facteur d'environ 30. Pour Denis Nash, professeur d'épidémiologie à l'école de santé publique de la City University of New York (CUNY) et l'un des auteurs d'étude, bien que celle-ci se soit concentrée sur New York, ces résultats peuvent être valables dans le reste du pays. Plus encore, les New-Yorkaisexs ont probablement un meilleur accès au dépistage que la majorité des autres régions du pays, ce qui signifie que la sous-estimation du décompte pourrait être pire ailleurs.

Nash s'inquiète de ce fait car «cela signifie que notre capacité à vraiment comprendre et à devancer le virus est minée» et également du fait que plus de la moitié des patientexs interrogéexs ont déclaré ne pas connaître le Paxlovid (un antiviral pouvant être très efficace pour éviter tant l'hospitalisation que le décès de personnes à haut risque). De plus, les personnes qui ont pu accéder à ce médicament étaient généralement plus jeunes et avaient un meilleur accès aux ressources.

Si Nash raconte avoir toujours pensé qu'il y avait un phénomène de sous-estimation, il considère que l'écart semble se creuser. Et d'expliquer que l'énorme disparité entre le nombre de cas estimés et le nombre de cas officiels est probablement due à une augmentation des tests à domicile, qui ne sont généralement pas inclus dans les chiffres officiels, ainsi qu'à une lassitude face à la pandémie ou à un manque d'information qui incite certaines personnes à ne pas faire de test du tout, même si elles présentent des symptômes ou sont exposées au virus.

Selon Lara Jirmanus, médecin de famille et enseignante clinique à la faculté de médecine de l'Université d'Harvard, il existe également une «énorme désincitation» pour de nombreuses personnes à se faire tester pour le Covid-19. On a dit aux Américainexs que le virus était bénin et qu'il n'affecterait pas leur vie, souligne-t-elle mais si le test est positif, iles doivent rester à la maison, au travail et à l'école. Elle dit : «C'est presque comme si nous avions créé une politique nationale de «Ne demandez pas, n'en parlez pas » ("don’t ask, don’t tell") concernant le Covid - et c'est une façon parfaite de promettre que le Covid va se répandre rapidement». Elle ajoute que cela est particulièrement inquiétant étant donné que 60% de la transmission du Covid-19 se fait par des personnes qui ne présentent jamais de symptômes.

Une possible conséquence de cette sous-estimation du décompte des cas de Covid: de nombreuses personnes aux États-Unis ne réalisent pas à quel point le Covid est répandu en ce moment dans leur pays. Or, soulignent les expertexs, en l'absence de données fiables sur l'ampleur réelle du Covid, il est plus difficile de s'en protéger : «Nous n'avons pas vraiment une bonne idée de ce qui se passe avec le Covid, et les gens ne peuvent donc pas prendre de décisions sur ce qu'il faut faire en cas d'épidémie» dit Nash. Jirmanus regrette pour sa part: «nous ne faisons que nous exposer au risque de ce virus et nous n'avons aucune idée de ce que l'avenir nous réserve - le prochain variant pourrait rendre les gens plus malades ou les tuer plus rapidement.»

S'ajoute le risque du Covid Long: «La menace du Covid long sera quelque chose qui nous accompagnera pendant un certain temps, même après que les hospitalisations et les décès seront devenus moins problématiques» dit Nash. Or une infection au Covid peut déboucher dans environ 10 à 30 % des cas sur un Covid Long et chaque (ré)infection semble être «un lancé de dés» pour développer des problèmes de santé à long terme.

A l'encontre de ce qu'on nous rabâche dans les médias mainstream, Jirmanus affirme que l'«idée que nous devons revenir à la normale et que c'est la chose la plus importante, plutôt que d'utiliser réellement des mesures de protection pour sauver des vies - ce n'est en fait pas si difficile, et si c'était normalisé, nous pourrions le faire.» Et encore: «Décider simplement qu'il est parfaitement normal que tout le monde soit infecté trois ou quatre fois par an à l'avenir par un nouveau virus dont nous ne comprenons pas entièrement les effets est un énorme, énorme pari (...) Nous ne savons tout simplement pas ce que le Covid pourrait entraîner à l'avenir... Nous jouons avec le feu.» (nos traductions)

Pour mettre en perspective cet article, nous partageons un graphique illustrant que près de 98 % de la population américaine vit dans une zone où le niveau de transmission du Covid-19 est élevé ou substantiel (selon les carégorisation du CDC états-uniens) :

Quel système de santé souhaitons-nous ?

Dans une tribune parue fin mai dans le journal français Le Monde, un collectif de plus d’un millier de soignantexs et autres personnels hospitaliers interpelle le gouvernement français sur leur système de santé et questionne : Quel système de santé souhaitons-nous ?

Le collectif décrit la limitation actuelle de l'accès durant la nuit au service des urgences du centre hospitalier universitaire de Bordeaux comme la partie émergée de l’iceberg, un phénomène qui touche tout le pays. Parce que ce que le collectif décrit pour la France fait écho à aux pratiques néolibérales de management de la médecine et de la santé publique en Suisse nous partageons de long extraits de leur tribune :

Ce qui apparaît comme la crise des urgences est à replacer au sein d’un système de santé à bout de souffle après de nombreuses années de restrictions budgétaires. La crise Covid n’a fait qu’aggraver la situation d’un bien commun exsangue : l’hôpital public. (...) Moins de lits, des patients plus complexes et la rentabilité avant tout. (...) Depuis 2000, 20 % des lits (soit près de sept cents lits d’hospitalisation) ont été supprimés au CHU de Bordeaux. Parallèlement, le vieillissement de la population et l’augmentation du nombre d’habitants dans la métropole bordelaise provoquent une augmentation de la demande de soins non prise en compte par nos pouvoirs publics. Dans de nombreuses spécialités, des traitements plus efficaces mais plus complexes augmentent le recours à l’hôpital. De ce fait, hospitaliser un patient est devenu un parcours du combattant, que ce soit pour la médecine de ville ou pour les urgences.

Parallèlement, afin de répondre aux critères comptables qui nous sont imposés, un taux élevé d’environ 95 % d’occupation des lits est nécessaire, à l’origine d’un fonctionnement à flux tendu qui ne permet plus d’assurer une disponibilité de lits pour les patients nécessitant une hospitalisation rapide, « non programmée ». Ces patients consultant en médecine de ville ou arrivant aux urgences se trouvent fréquemment sans solution d’hospitalisation. (...)

Au total, ces dysfonctionnements majeurs se répercutent dramatiquement sur la prise en charge des patients. Outre le transfert des activités d’hospitalisation vers une activité ambulatoire, l’activité de soins a explosé sans augmentation en regard des personnels de soins. Cette gestion industrielle de la médecine reconnaît l’activité, le nombre d’actes, plutôt que la qualité des soins qui est in fine progressivement délaissée.

Nos équipes médico-soignantes ont pris de plein fouet ces transformations et ceci bien avant la crise Covid. Toutes et tous n’hésitent plus aujourd’hui à quitter en masse l’hôpital, augmentant ainsi les fermetures de lits (actuellement, au CHU de Bordeaux, environ de trois cents à quatre cents lits sont fermés administrativement tous les jours par manque de soignants).

Perte de sens du métier

Des mesures radicales sont urgemment nécessaires pour arrêter cette hémorragie et redonner aux personnels goût à leur travail en leur permettant de se recentrer sur le cœur de leur métier : soigner, c’est-à-dire prendre soin des autres. La médecine ne doit pas être seulement la multiplication sans fin d’actes techniques que voudraient imposer les volontés politiques et budgétaires actuelles.

Elle doit rester une activité bienveillante permettant de consacrer à chaque patient un temps qui ne peut être chiffré. C’est cette perte de sens du métier qui menace d’effondrement à court terme le système de santé, en particulier hospitalier. Des décisions courageuses et forcément coûteuses sont attendues. Les ratios de soignants dans chaque unité de soin doivent être évalués par rapport au nombre de lits ouverts permettant, face à la complexification et à la lourdeur des prises en charge, d’éviter l’épuisement des professionnels.

Les absences programmées ou inopinées de soignants doivent être systématiquement remplacées, ce qui ne peut s’effectuer qu’avec un plus grand nombre de soignants au sein des équipes. L’organisation interne de l’hôpital doit être décidée dans une gouvernance partagée, en accord avec les équipes de soins et en associant aux décisions tous les acteurs de l’hôpital ainsi que les usagers.

La continuité et la permanence des soins doivent être réorganisées en remettant en lien la médecine de ville, les hospitaliers et leurs patients. Les agences régionales de santé doivent être les garantes de cette coordination. Rétablir l’attractivité des professions médico-soignantes passe par une revalorisation des salaires, notamment dans le cadre des permanences de nuit et de week-end et de façon à rejoindre au moins la moyenne des pays voisins. (...)

Nous demandons à nos dirigeantes et à nos dirigeants, et en particulier à la première ministre, Elisabeth Borne, et la ministre de la santé, Brigitte Bourguignon, de répondre à cette question : quel système de santé défendez-vous ? Si c’est un système lucratif qui abandonne l’humain, alors décidons-le rapidement et mourons dignement.»