Semaine du 17 au 23 janvier 2022

Cadrage «mild» et Omicron

Depuis les fêtes, les autorités politiques se donnent beaucoup de mal pour faire admettre que la vague du variant Omicron présenterait un caractère de gravité moindre permettant de l'utiliser comme une occasion d'atteindre l'immunité collective en contournant le problème que constitue le refus du vaccin par une partie de la population. Ce cadrage menace de devenir hégémonique et d'imposer un récit qui occulte tout à la fois: 1) les conséquences à long terme encore mal connues de l'infection au coronavirus; 2) les conséquences à court terme sur les travailleuses et les travailleurs d'un taux d'infection considérable; 3) les conséquences en terme d'isolement des personnes fragiles, immunodéprimées pour qui l'infection reste un risque considérable.

L'imposition de ce cadrage, qui coïncide avec les intérêts des organisations patronales, provoque des tensions au sein de la task force scientifique et entre celle-ci et le Conseil fédéral. La présidente de la task force, Tanja Stadler, évoque, à mots feutrés, ces divergences, dans un entretien à la Radio suisse alémanique. Mais Stadler semble isolée au sein même de la task force. Virginie Masserey (responsable du contrôle de l'infection à l'OFSP) et Samia Hurst (vice-présidente de la task force) ont publiquement qualifié son point de vue d'alarmiste.

Depuis le début de la pandémie, l'hebdomadaire suisse alémanique de gauche WOZ souligne que le Conseil fédéral règle ses décisions sur les besoins du capitalisme. L'édition de cette semaine propose un vigoureux éditorial dans ce sens et une série de témoignages une série de témoignages qui montrent ce qu'engendre d'ores et déjà le cadrage «mild» pour les travailleuses et les travailleurs. Une directrice de crèche: «Depuis des semaines, elle ne vit presque plus que pour le travail et n'entretient pratiquement aucun contact privé.» Une femme qui travaille à la hotline covid du Jura: «"Immédiatement après l'annonce [du CF], des entreprises nous ont appelés pour nous demander si leurs employés pouvaient reprendre le travail", raconte-t-elle. Parallèlement, des employés ont demandé s'ils étaient à nouveau contraints d'aller travailler.»

Dans le même sens, David Gygax, secrétaire du Syndicat des services publics du canton de Vaud, dresse, dans une libre opinion du quotidien Le Courrier, un état des lieux apocalyptique de la surchage et du sous financement des hôpitaux vaudois. Il demande: «Pourquoi [les autorités vaudoises] n’écoutent-elles pas ce que disent les salarié·es – l’épuisement, la non reconnaissance, la sous-dotation, etc.? Pourquoi ne décident-elles pas de revaloriser les salaires dans ce secteur historiquement féminisé, et donc scandaleusement sous-payé? Pourquoi ne lancent-elles pas, à moyen terme, des campagnes visant à former et recruter du personnel et, surtout, à lui assurer des conditions de travail qui permettent de «durer» dans la profession?»

Statistiques

L'historien Hans Ulrich Jost rappelait dans plusieurs articles (notamment “Les contradictions entre la politique patronale et la statistique officielle en Suisse au XXe siècle”, À tire d’ailes, 2005, 433-445.) la faiblesse de l'appareil statistique de la Suisse. Il y voyait le poids des intérêts des organisations patronales constamment opposées à rendre publique les connaissances sur les structures de la société. D'importantes faiblesses en matière de suivi statistique de la pandémie ont été constatées depuis le début de la crise, une nouvelle série d'incongruités ont été révélées ces dernières semaines.

Un article de Heidi.news souligne que les indicateurs statistiques qui guident les décisions politiques sont loin d'être fiables.

«C’est devenu l’indicateur le plus suivi du pays: le nombre de nouvelles hospitalisations quotidiennes. Son pendant pour les soins intensifs est également très scruté. Et qui délivre quotidiennement son petit décompte avec la tendance associée? L’OFSP, dans son dashboard Covid. Inexactes et pas à jour, les données qui y sont publiées servent tout de même de base aux décision du Conseil fédéral. La task force scientifique de la Confédération quantifie pour la première fois ce retard: il est de plus de deux semaines

«Dans l’évaluation de la situation épidémiologique du 17 janvier 2022 par la task force scientifique qui met le feu aux poudres: «En raison des retards dans la déclaration des hospitalisations Covid-19, il est actuellement impossible de déterminer si le nombre de nouvelles hospitalisations par jour augmente ou diminue. Il faut plus de deux semaines pour que plus de 90% des hospitalisations soient déclarées. Compte tenu de ces retards de déclaration, le nombre de nouvelles hospitalisations déclarées ne permet pas de mesurer l'évolution actuelle de la charge du système de santé.

Dans cette situation, le taux d'occupation de chaque hôpital par les patients Covid-19 représente une approche plus robuste de la situation hospitalière. Ainsi, les données de zurichoises et genevoises montrent que l'occupation de leurs hôpitaux par des patients Covid-19 est actuellement en augmentation.» Pourtant, lorsqu’on observe les données hospitalières publiées quotidiennement dans le dashboard Covid de l’OFSP, on voit clairement une baisse voire une chute des hospitalisations.»

Dans le même sens, un article d'Infosperber remarque que les chiffres consolidés de l'Office fédéral de la santé et de l'Office fédéral de la statistique concernant les hospitalisations COVID pour 2020 ne coïncident pas. La différence n'est pas mince puisque les patients déclarés aux statisticiens sont plus nombreux de 84% (presque multipliés par deux donc) que ceux enregistrés par les autorités sanitaires. Cette différence considérable, personne ne sait l'expliquer.

L'angle mort du COVID long

L'angle mort commence enfin à être un petit peu thématisé. Dans la Tribune de Genève, un reportage donne la parole à « Alessandro Diana, médecin lui-même touché par le Covid long: «Quand vous dites que vous êtes fatigué, beaucoup de gens répondent «Nous le sommes tous», «Tu n’as plus 20 ans» ou «Tu travailles trop». Mais pour moi, il y a un avant et un après Covid.» «Et les autorités? Marie note qu’elles paraissent plus préoccupées par le vaccin. La semaine dernière, un médecin se disait «étonné» de ne presque jamais entendre le terme Covid long prononcé par un conseiller fédéral. Et des experts appellent à la création d’un registre national et à une meilleure prise en compte du phénomène.» «On évoque la possibilité que la pandémie se transforme en endémie et que la situation s’améliore, conclut Jeanne. Mais nous, nous ne guérirons peut-être pas de sitôt. J’espère qu’on ne nous oubliera pas.» «Des experts demandent notamment la tenue d’un registre national pour suivre les Covid longs, chose que l’OFSP a répondu ne pas juger nécessaire. Du côté des services de santé, pourtant, les choses évoluent. Des consultations spécialisées apparaissent notamment par endroits.»

Si le reportage de la Tribune présente l'intérêt d'évoquer le COVID long à un moment où cette questions semble parfaitement ignorée par les autorités politiques et l'administration sanitaire, il révèle aussi quelques éléments intéressants du point de vue du rapport entre pandémie et néolibéralisme. Les auteurs de l'article interrogent en effet une cheffe de projet d'une structure nommée Altea qui semble se charger du suivi des conséquences durables de la pandémie. Qui porte cette structure? Une société anonyme zurichoise, APS Advanced Productions & Support AG, qui porte également un projet de suivi sérologique des enfants du canton de Zurich ainsi qu'une structure parapublique nommée Swiss school of public health. Pourquoi le suivi et la prise en charge du Covid long ne peut-elle pas être assurée directement par les hôpitaux ou l'Office fédéral de la santé publique? Voilà qui aurait mérité un complément d'investigation de la part de journalistes qui se contentent d'empiler des témoignages renforçant ainsi le sentiment qu'il s'agit d'une question individuelle.

Dans 20 Minutes, on apprend que « L’assurance invalidité a enregistré, dans toute la Suisse, 1775 inscriptions pour cause de Covid long en 2021. Comme le note la «Schweiz am Wochenende», aucune décision de verser une rente à un patient atteint de séquelles d’une infection n’a encore été rendue. Le journal mentionne des études selon lesquelles environ 20% des personnes infectées par le Covid présentent des séquelles après la guérison des symptômes principaux. Parmi elles: fatigue extrême et essoufflements en sont les plus fréquents. Pourtant, la Confédération ne s’inquiète pas outre mesure des conséquences financières des Covid longs.»

Un article dans Science présente le COVID long comme un «major public health concern» et le compare à d’autres syndromes post-infectieux : «Since early in the COVID-19 pandemic, patients have described lingering syndromes following acute infection, now called Long Covid. These syndromes often include predominant neurologic and psychiatric symptoms, such as difficulty with memory, concentration, and ability to accomplish everyday tasks, frequent headaches, alterations in skin sensation, autonomic dysfunction, intractable fatigue, and in severe cases, delusions and paranoia. Many people who experience neurologic symptoms that linger after acute COVID-19 are less than 50 years old and were healthy and active prior to infection. Notably, the majority were never hospitalized during their acute COVID-19 illness, reflecting mild initial disease. Many of the symptoms experienced by individuals with Long Covid are similar to those of myalgic encephalomyelitis/chronic fatigue syndrome (ME/CFS), which is also considered to be a postinfectious syndrome caused by a variety of infectious agents. Because the pathophysiology of ME/CFS is poorly understood and there are no effective disease-modifying therapies available, it is likely that the study of Long Covid may benefit ME/CFS patients as well. There is also overlap in symptoms of post–Lyme disease, suggesting that there may be common host susceptibility factors that underlie these illnesses. »

Mise en danger des travailleuses et des travailleurs

Enfin les médias partagent davantage les voix de celles et ceux qui affirment que les masques N95/FFP2 protègent mieux contre le variant Omicron. Il faut souligner qu’à présent ces masques sont accessibles en masse, ça nous rappelle le printemps 2020. Et du coup, après des semaines marquées par de nombreuses hospitalisations d’enfants, des morts en masse et l’épuisement criant des sognant-e-s à l’hôpital, Biden décide d’en distribuer gratuitement dès la semaine prochaine. Mieux vaut tard que jamais ? Pendant ce temps, la poste au Canada refuse à ses employé-e-s de porter les masques N95.