Semaine du 31 janvier au 6 février 2022

Cette semaine, le président de la Confédération, a parlé d'une «belle journée» pour qualifier celle au cours de laquelle il a annoncé, avec Alain Berset, la progressive levée des mesures de lutte contre l'épidémie. «Belle journée» sans doute pour le patronat, en attendant, une première étude montre à quel point les effets de l'infection au coronavirus ont été socialement différenciés pendant la première vague. Il y a fort à parier que le récit qui nous est servi actuellement - peu de gravité, immunité collective, etc. - va renforcer encore ces inégalités.

Inégalités et décès

Un article de l'édition dominicale de Blick montre que les personne résidant en Suisse mais n'ayant pas la nationalité suisse présentent une surmortalité due au Covid multipliée par deux.

En Angleterre, Ravi Gupta, professeur de microbiologie clinique à l'université de Cambridge, affirme sans détour que «(l)a hausse des cas et des décès est entièrement notre choix. (...Les chiffres augmentent) parce que nous avons fondamentalement échoué à contrôler la transmission, et cela parce que les enfants sont vulnérables, ils n'ont pas été vaccinés, ils sont de retour à l'école, ils propagent le virus entre eux et le transmettent à leur famille». Le Byline Times, au sujet des personnes décédées, révèle encore: «Un chiffre choquant de six décès sur dix dus au COVID-19 au Royaume-Uni a concerné des personnes vivant avec un handicap. Beaucoup de ces personnes, voire la plupart d'entre elles, vivaient et auraient pu continuer à vivre une vie épanouie et significative avec une meilleure gestion de la pandémie. Le fait que les personnes qui meurent sont, de manière disproportionnée, des Noirs ou des Asiatiques, indépendamment de leur état de santé préexistant, est tout aussi grave. La prise de conscience généralisée aurait dû susciter un débat sur les inégalités en matière de santé et sur l'équilibre entre les soins de santé préventifs et réactifs au Royaume-Uni, mais c'est le contraire qui se produit. Les inégalités révélées par la pandémie ont été pratiquement oubliées.» (notre traduction)

Levées des mesures en Suisse

Alors qu’Alain Berset affirme que «c’est un demi-million de personnes (qui sont) infectées chaque semaine» (Le Temps), le gouvernement suisse a décidé de l’abandon des quarantaines et du télétravail obligatoire et envisage de lever d’autres mesures en février. Ce choix est commenté par différentes personnes.

Du côté du Conseil fédéral, lors de la conférence de presse de la semaine, Ignazio Cassis - dont il faut rappeler qu'il est lui-même médecin et ancien président de la principale association professionnelle de Suisse - usant des nouveaux buzzwords affirme que: «La décision du Conseil fédéral aujourd'hui nous permet d'envisager l'avenir avec #optimisme. Une nouvelle phase commence et nous allons désormais pouvoir retrouver toutes nos #libertés ainsi qu'apprendre à #vivre avec un virus de plus.» (Tribune de Genève). Heidi News (https://www.heidi.news/sante-) relève que pour le Conseil fédéral, «les signes indicateurs d’une prochaine sortie de crise se multiplient, laissant entrevoir le début de la phase #endémique».

Julien Riou, épidémiologiste à l’Université de Berne, pour sa part rappelle que « 15 décès par jour c’est quelque chose qui est un problème de santé publique » (dans le 19h30 du premier février 2022) et considère que «Même si certaines mesures s’avèrent moins efficaces, la situation aurait été probablement bien pire sans ces dernières. Il y a tant de paramètres à prendre en compte qu’il serait imprudent de tout abandonner immédiatement».

Le chef du Service d’immunologie et allergie au CHUV, professeur Giuseppe Pantaleo s’inquiète de ce «que le Conseil fédéral envisage de lever toutes les restrictions le 17 février. Je suis préoccupé. (...) Faire croire à la population que l’on peut tout «libérer» d’un coup, se passer de masques et de certificats sanitaires, me surprend beaucoup. Je ne pense pas que cela soit justifié, si l’on se base sur la courbe épidémiologique. Il y a actuellement entre 35’000 et 40’000 infections par jour en Suisse. Et 2,5 millions dans le monde. (...). [Le gouvernement] évalue la pression sur les hôpitaux sur la base de l’occupation des soins intensifs. C’était un indicateur justifié pour les variants précédents, mais ce n’est plus le cas. Pour évaluer une éventuelle surcharge, il faut regarder le nombre total de lits occupés, dans les hôpitaux, par les patients Covid. Et ce nombre est très élevé. En ce moment, 75 lits de médecine interne sont occupés par des patients Covid. Cela a un impact sur les soins apportés aux autres patients. Tous les cas positifs doivent être mis en isolement. Certes, Omicron pose moins de problèmes d’un point de vue médical, mais d’un point de vue organisationnel, il en pose davantage. Alors à mon sens oui, le CHUV est surchargé. (...) Je pense qu’il faut rester très prudent et attendre encore cinq à six semaines avant des assouplissements. Pourquoi ne pas attendre le printemps, période où les gens sont plus à l’extérieur et où l’on sait que la courbe épidémiologique va redescendre?»

A la question «Que craignez-vous qu’il arrive, si toutes les mesures étaient levées?», Pantaleo répond : « Il va y avoir certainement une remontée rapide du nombre d’infections pendant plusieurs semaines. Je ne vois pas ce que l’on aurait à gagner à cela. Plus il y a d’infections, plus il y aura statistiquement de personnes qui devront être hospitalisées. Certes, le taux de décès par jour, comparé au nombre de cas, est inférieur par rapport aux variants précédents. Mais à cause de la grande contagiosité d’Omicron, il y a plus de décès actuellement que lors des vagues précédentes! C’est un fait. Et si le nombre d’infections remonte, il y en aura encore plus... On nous a dit et répété pendant deux ans de respecter les distances et de porter des masques. Ce sont les mesures les plus efficaces contre la contamination. Pourquoi arrêter maintenant? (...) Penser que les patients infectés par Omicron n’ont pas besoin d’être hospitalisés est faux. Les patients hospitalisés au CHUV à cause du Covid le sont pour une bonne raison. Ils ne vont pas bien; leur état ne leur permet pas de rester chez eux. Aux soins intensifs, les patients qui ont Omicron sont surtout des personnes vulnérables (immunodéprimées, âgées…). Antoine Flahault conclut que « Des allègements de mesure qui auraient été adossés à des indicateurs de santé tout à fait favorables auraient été, pour nous les épidémiologistes, quelque chose de plus en phase avec le risque épidémique actuel ».

Du côté des patrons, c’est la satisfaction. Véronique Kämpfen, directrice communication de la FER Genève (Fédération des Entreprises Romandes), explique : «On est ravis de la fin de l’obligation de télétravail. Il reste la recommandation de télétravail, qui permet davantage de souplesse dans les entreprises. C’est une mesure qui était très attendue par les employeurs comme les employés». «La fin des quarantaines, c’est vraiment une excellente nouvelle» ajoute André Berdoz, vice-président de l’USAM (Union Suisse des Arts et Métiers). «On devrait retrouver la moitié de nos effectifs». Enfin, du côté de GastroSuisse, son président, Casimir Platzer dit:« On est partiellement satisfaits, parce que le Conseil fédéral nous a entendus : il a supprimé l’obligation du télétravail, il a supprimé l’obligation de la quarantaine, mais ce qu’on regrette, c’est qu’il n’ait pas supprimé tout de suite l’obligation du certificat covid » (Léman Bleu)[https://www.lemanbleu.ch/fr/Actualite/Suisse/2022020289805-Fin-des-mesures-les-Suisses-entre-joie-et-prudence.html]

Projet de restriction d'accès à l'aide sociale

Au moment même où l'on apprend à quel point la différence dans les conséquences du covid est marquée en fonction de la nationalité et de la situation sociale, Karin Keller Sutter, conseillère fédérale libérale radicale chargée de réaliser la politique de l'UDC met en consultation un projet de restriction d'accès à l'aide sociale pour les étrangères et les étrangers. C'est pas un hasard si la proposition est faite alors que le Conseil fédéral propose de supprimer les mesures de lutte contre l'épidémie. C'est un signal clair vis-à-vis de celles et ceux qui demandaient d'étendre les possibilités de bénéficier de l'aide sociale après les ravages parmi les étrangers/ères précarisé-es par la crise. Keller-Sutter montre fermement dans quelle direction elle entend aller. Wochenzeitung

Les voix des personnes concernées qu’on a peu eu l’occasion d’entendre

Les médias donnent à présent davantage la parole aux personnes immunodéprimées. 20 minutes offre quelques récits en France « Selon les associations, les immunodéprimés ont, en cas d’infection, entre 15 à 20 % de risque de mourir du coronavirus. Ils représenteraient également jusqu’à 30 % des réanimations dans certains hôpitaux, alors qu’ils ne pèsent que 0,3 % de la population française. Comme Elsa, entre 230.000 et 300.000 personnes sont immunodéprimées en France. Et tout comme Elsa beaucoup estiment être « en décalage » avec le reste de la population. « Au début, on était tous dans le même bateau, tous confinés ou tous apeurés par le virus. Aujourd’hui, les gens retrouvent peu à peu le monde d’avant, et nous, on reste dans nos appartements. Nous sommes les grands oubliés.» (...) Pierre Foucaud, président de l’association Vaincre la mucoviscidose, indique que même après une quatrième dose, entre 75 et 80 % des immunodéprimés ne produisent pas assez d’anticorps pour être protégés contre une forme sévère. Selon le militant, il est clair que « les autorités sanitaires ne prennent pas assez en considération les immunodéprimés, qui restent au bord de la route ». (...) Yvanie Caillé, fondatrice de Renaloo, association de patients de maladie rénale : « Plus le temps passe, plus cela devient difficile. La lassitude s’installe tout comme l’incompréhension du monde extérieur, totalement déconnecté de nos réalités. Avec la vague actuelle, malgré des mesures de protection drastiques, de nombreux immunodéprimés se font contaminer tant le virus circule en ce moment. » (...) Elsa : « Il ne faut pas se leurrer, parmi la hausse des décès, il y a les non-vaccinés et il y a nous, principalement. Je ne demande pas à ce que le monde s’arrête de tourner pour notre petit sort, juste qu’on nous prenne un peu en compte. Actuellement, la vie continue, mais elle continue sans nous. » A ces témoignages de personnes immunodéprimées s’ajoutent ceux de personnes souffrant d’un long Covid.

Heidnews relate l’histoire d’une personne pour qui « Derrière la lutte contre des symptômes qui durent, se cache celle menée auprès des assurances. Fin décembre 2021, l’assurance perte de gain maladie de son employeur a brutalement voulu mettre fin à ses indemnités journalières »

Cette semaine les yeux étaient rivés sur le Danemark...

Le rêve danois fait la une localement. Et Flahault de répéter encore et encore :«Combien de temps les populations vont-elles supporter ces «stop and go» répétés, ces va-et-vient dans la gestion de la crise? Ne faudrait-il pas s’attaquer aussi à la racine du problème, c’est-à-dire au principal mode de transmission de ce coronavirus qu’est la voie aérosol (ndlr: dans les lieux clos et mal ventilés)?»

Dans la presse française, ses propos sont repris davantage : «depuis le début de la pandémie, les autorités veulent en voir la fin » et le journal de souligner que l’épidémiologiste «appelle de ses vœux une gestion plus localisée des mesures pour lutter contre le Covid, avec des assouplissements selon les situations locales» et dit : «Voir les Danois lever toutes leurs mesures alors que la courbe épidémique monte comme en Nouvelle Aquitaine aujourd’hui, c’est mettre en danger les personnes vulnérables, âgées ou immunodéprimées, ainsi que les non vaccinées, estime-t-il. C’est aussi courir le risque d’une nouvelle saturation des hôpitaux et d’une augmentation de la mortalité au-dessus des niveaux les plus hauts jamais enregistrés durant cette pandémie.» Ouest France

Et comme le Danemark est cité pour justifier divers relâchement de mesures ici comme ailleurs, il est pas inutile de partager ces graphiques proposés sur Twitter par Eric Topol.

Cadrage endémique: une excuse néolibérale

Sur Twitter, l’historien de la médecine Jacob Steere-Williams revient sur ce qu’il considère comme « une nouvelle phase de la pandémie de COVID-19» qu’il décrit comme le fait de nombreuses personnes qui «s'appuient sur une nouvelle devise - que j'appelle "fatalisme endémique". "Nous allons tous l'avoir", voilà ce que j'entends sans cesse. Il ne fait aucun doute qu'Omicron a modifié le récit.» Remontant dans l’histoire, il explique comment « (d)istinguer l'endémique de l'épidémique était un moyen d'expliquer la répartition géographique des maladies dans le monde, sans doute, mais il était aussi alimenté par le colonialisme du 19e siècle. Présenter le choléra comme endémique en Inde, par exemple, était un moyen de faire porter l'origine de la maladie sur un pays et un peuple lointains - "eux" et non "nous". La malaria et la fièvre jaune étaient considérées comme "endémiques" aux tropiques, la peste à l'Asie du Sud-Est et de l'Est. L'idée d'une maladie endémique à cette époque était aussi un moyen d'expliquer l'apparition, la distribution et la propagation des maladies épidémiques... La définition d'une maladie comme endémique ou épidémique a toujours été liée à un programme politique et culturel. (...) Ce qui ressort clairement d'un examen historique, même sommaire, du concept d'endémicité, c'est qu'il existe des raisons culturelles et politiques, et pas toujours scientifiques, de qualifier une maladie d'endémique. Au milieu du 20e siècle, le terme endémique s'est opposé au terme épidémique, et les experts du Nord considéraient le choléra, la typhoïde et la peste comme des maladies endémiques du Sud - hors de vue, hors d'intérêt. Mais ces maladies continuent de ravager les populations humaines. Les notions occidentales d'endémicité ont permis aux pays du Nord de classer les maladies dans la catégorie des problèmes de développement économique. Un phénomène similaire s'est produit dans les années 1990 avec le VIH/SIDA. Au mieux, saluer l'endémicité du COVID est une excuse néolibérale pour l'incapacité de la plupart des gouvernements à gérer correctement le COVID-19 au cours des deux dernières années. Au pire, cette vision est un fatalisme néodarwinien. Nous devons nous opposer aux deux. Cette histoire compte.» (notre traduction).

Les conséquences du Covid chez certains enfant

Les médias suisses commencent à mettre l’accent sur le Covid long chez les enfants ainis que sur le syndrome inflammatoire multi-systémique pédiatrique (PIMS) qui augmente dans les hôpitaux

Le Covid tue encore

Petit graphique du nombre de morts à cause du Covid actuellement aux Etats-Unis. En Angleterre, expose Inews: «le bilan quotidien du Covid ne sera plus publié d'ici Pâques dans le cadre du plan "vivre avec la Covid" (...) La fin du bilan quotidien de la Covid fait partie de la stratégie du Premier ministre pour vivre avec la Covid", a ajouté la source de Whitehall. "On espère que le fait de détourner l'attention des chiffres du Covid aidera également les gens à avancer dans leur vie."»

Covid long

CBS news thématise la question de la pénurie de main-d'œuvre aux États-Unis en lien avec le Covid Long : «La population active du pays est inférieure de 2,2 millions de personnes à ce qu'elle était avant la pandémie. (...) Le COVID long pourrait empêcher des millions de personnes de travailler ou les obliger à réduire leurs heures de travail, a déclaré le Dr Philip A. Chan, professeur associé de médecine à l'université Brown, qui travaille sur son initiative Covid long. "Il s'agit d'un spectre allant de symptômes très mineurs à des symptômes graves qui sont débilitants et empêchent toute activité professionnelle", a déclaré le Dr Chan. "Ce n'est pas seulement "Oui ou non, les gens peuvent-ils travailler ?". Nous voyons des gens réduire leurs heures, réduire l'étendue de ce sur quoi ils travaillent. " "De 10 à 30 % des personnes atteintes de COVID-19 continuent de souffrir de symptômes pendant des mois après leur infection initiale. " (...)" Une estimation prudente des cas de COVID long est de près de 19 millions " (...) "La phrase "Vous n'avez pas l'air malade" est la chose la plus courante que les gens rapportent que les gens leur disent", a noté Lambert. "C'est un côté sombre de la culture américaine que nous ne croyons pas les gens à moins qu'ils aient l'air malade". (...) "Bach a estimé qu'environ 1,1 million de travailleurs ont abandonné leur travail à temps plein en raison d'un long COVID à un moment donné, tandis qu'environ 2,1 millions pourraient avoir réduit leurs heures en raison de leurs symptômes.»

En Angleterre aussi, la presse met enfin en avant le Covid long qui pourtant n’est pas un phénomène nouvellement découvert comme le souligne également The Guardian.