Semaine du 14 au 20 février 2022

Semaine du 14 au 20 février 2022

La semaine écoulée aura été marquée par l'annonce de la levée de la quasi-totalité des mesures de lutte contre la pandémie. Manchettes et gros titres auront largement déroulé le récit d'une «libération», du retour du sourire. Le Matin dimanche promettait même que nous dépenserions cette année «un maximum pour les vacances». A voir, car loin des effusions tamédiatiques, la gazette patronale zurichoise NZZ anonçait dans le même temps une prochaine augmentation des primes d'assurance maladie. La liberté qui a tant inspiré les éditorialistes ce week-end sera sans doute rapidement remplacée par un discours sur l'austérité financière, la rigueur des comptes publics et le remboursement de la supposée «dette covid». Austérité qui renforcera la position des mouvements d'extrême-droite qui se sont constitués durant la pandémie, Mass Voll, Amis de la liberté et autres Freiheit Strychler et qui, bien que leur principale revendication ait été exaucée cette semaine par le Conseil fédéral, ont d'ores et déjà annoncé leur intention de poursuivre leur détestable travail politique.

Task force scientifique

Parmi les mesures annoncées mercredi figure la dissolution, fin mars, de la «Task force scientifique». Cet organe avait reçu un mandat au printemps 2020 de la part de l'Office fédéral de la santé publique et de diverses instances académiques. Il s'agissait à la fois de conseiller les autorités politiques et d'informer la population. En juillet 2020, alors le Conseil fédéral mettait fin au régime de situation extraordinaire, le président de cet organe avait quitté son poste (tout en restant membre de la Task force) en raison de trop fortes divergences avec les décisions politiques. Il jugeait en effet les mesures de réouverture trop rapides. Le professeur genevois Didier Pittet avait alors attaqué son collègue et défendu le point de vue des autorités. De fait, Matthias Egger avait raison puisqu'à l'automne 2020 une vague d'ampleur considérable, conséquence de l'abandon estival des mesures, devait causer environ 8000 décès dans le pays.

Plus récemment, c'est la nouvelle présidente de la Task force, Tanja Stadler, qui a fait l'objet de critique de la part de l'Office fédéral pour son «pessimisme» exprimé dans un talk show de la radio publique suisse alémanique. Ou encore la vice-présidente de la Task force, Samia Hurst-Majno par l'UDC et les Amis de la constitution lorsqu’elle a recommandé sur Twitter de continuer à porter le masque dans certains lieux

Matthias Egger soulignait encore la semaine dernière à quel point la pandémie était, en raison de ses conséquences socialement différenciées, un «virus de classe». On comprend qu'un tel point de vue déplaise au Conseil fédéral et aux fonctionnaires de l'OFSP beaucoup plus conciliants avec la vision libertarienne et individualiste de la liberté portée par les organisations patronales et l'extrême-droite.

Travailleuses et travailleurs précaires

Dans son style toujours admirablement confusionniste, la Tribune de Genève évoque les «milliers d'employés du covid» qui doivent «se réorienter». Si l'article (et singulièrement le titre) est particulièrement maladroit, il permet de comprendre deux éléments intéressants.

Premièrement, que les personnes en charge du traçage des contacts ont été embauchées très au-dessous des standards de la fonction publique (contrats à durée déterminée, hors statut). Or, cette fonction est absolument fondamentale dans une perspective de santé communautaire, car elle peut contribuer à limiter effectivement les contaminations et à comprendre plus finement leurs dynamiques.

Deuxièmement, que le démantèlement des services de traçage des contacts est beaucoup trop rapide. Rien n'empêcherait les cantons de maintenir ces travailleuses et travailleurs en poste, de stabiliser leurs fonctions, voire de leur fournir les formations utiles à l'accomplissement de tâches qui - quelle que soit la suite de la pandémie actuelle - seront à nouveau nécessaire dans un avenir proche tant il est clair que la situation que nous vivons est appelée à se répéter dans l'avenir.

L'article ne mentionne pas du tout les catégories d'employéexs encore plus précaires que sont les auxiliaires embauchéexs pour faire face à l'énorme quantité de tests pour lesquels il a fallut procéder à des prélèvements, des analyses et des démarches administratives (rendez-vous, facturation, envoi des résultats).

Interview de la patronne de la caisse-maladie CSS dans la NZZ

Alors que la presse locale déroule le récit de la libération du masque et du passe sanitaire, la NZZ, organe du grand patronat, donne le ton de la sortie de la crise en publiant un long entretien avec la patronne de l'assurance maladie CSS, Philomena Colatrella. La directrice d'un des plus gros assureurs de Suisse tient pour évidente une prochaine augmentation des primes maladie: la seule question pour elle, savoir quelle sera son ampleur.

Vu l'intérêt de l'article, nous en proposons ici une traduction intégrale. Deux éléments principaux sont à noter:

Après deux ans de pandémie, Colatrella insiste sur la nécessité de diminuer le nombre de lits hospitaliers: «Q. Avant la crise du covid-19, on disait toujours qu'il y avait trop d'hôpitaux et trop de lits d'hôpitaux. Avec la pandémie, beaucoup de gens ont changé d'avis. Comment voyez-vous les choses ?

R. La pandémie n'a rien changé d'essentiel. En Suisse, la densité hospitalière est très élevée. Il faut agir et je pense que les hôpitaux commencent à le reconnaître. S'il devait y avoir une poussée du stationnaire vers l'ambulatoire, cela assurerait une meilleure efficacité et réduirait le nombre de lits.»

Ensuite, la «numérisation de la santé» est son objectif principal: « La numérisation offre un grand potentiel d'économies, nous l'avons tous constaté pendant la crise du covid-19. Nos clients ont beaucoup plus utilisé les outils de télémédecine ainsi que les consultations en ligne et vidéo. Le système de santé suisse est encore très analogique. Le dossier électronique du patient n'a pas percé, c'est plus que frustrant. Nous n'avons pas de systématique dans la manière dont les données sont échangées entre les acteurs. La recherche ne peut pas non plus les utiliser pour développer des innovations. Au Danemark, par exemple, les données sont centralisées.»

Depuis cinquante ans qu'il est à l'ordre du jour, chacun.ex sait désormais que ce discours techniciste sur la numérisation dissimule des suppression d'emplois, la déqualification et la baisse des rémunération des fonctions véritablement utiles de toutes les structures qui subissent ces processus de numérisation.

C'est ainsi que le patronat suisse fête la fin de la pandémie décidée par le Conseil fédéral: en annonçant une augmentation des primes maladies et des suppressions de lits et de postes.

Au lendemain de la levée des mesures, le grand retour de la responsabilité individuelle

Alors qu'Ignazio Cassis annonce la fin des mesures Covid en Suisse en ayant lui-même le Covid, différents commentaires méritent d'être partagés. Celui à Genève de Mauro Poggia dans la Tribune de Genève « Si on voulait être parfaitement logique, il faudrait en réalité faire deux colonnes: l’une avec les activités qu’on peut choisir, l’autre avec celles qui sont incontournables. Je pense par exemple aux achats ou au travail. Là, le masque aurait eu un sens. (...) Cela fait deux ans que nous prenons des mesures pour protéger les plus vulnérables. Une partie d’entre eux n’a pas choisi de l’être, une autre partie l’est en ne se vaccinant pas. Il faut maintenant que chacun prenne ses responsabilités et se protège en conséquence en continuant à pratiquer les gestes barrières et en évitant, quand c’est possible, les lieux qui sont le plus à risque. Malgré tout, des personnes vulnérables vont indiscutablement faire les frais de cette ouverture.» .

Samia Hurst, sur Twitter et dans la Tribune de Genève affirme: «Cette pandémie a montré que des personnes sont particulièrement vulnérables. Cela peut nous conduire à une plus grande indifférence ou, au contraire, à un plus grand souci pour elles. J’espère que nous choisirons la deuxième voie.»

A défaut de le faire via la Task Force dont elle est vice-président, elle fournit ensuite ses recommandations : porter un masque dans les espaces clos car «La transmission peut survenir avant l’arrivée des premiers symptômes, c’est pourquoi je continuerai de mettre cette protection dans les lieux où il y a beaucoup de monde. Et en particulier dans ceux auxquels tout le monde doit avoir accès, comme les transports publics ou les magasins d’alimentation.»; faire un test avant une rencontre avec une personne fragile, la reporter en cas de symptomes, privilégier l'extérieur.

Pour Antoine Flahaut, les personnes à risques doivent à présent se protéger elles-mêmes en portant un masque dans les magasins. Selon la Tribune de Genève, le « relâchement prévu dans les bureaux partagés ou les salles de cours est à ses yeux plus «questionnable» et a de quoi inquiéter les personnes à risque et leurs proches. Que leur immunité soit défaillante à cause de la maladie ou de l’âge, ou qu’elles aient renoncé au vaccin malgré des comorbidités, elles devraient donc s’abstenir de baisser la garde durant encore un petit mois. »

Le Courrier donne la parole à des «personnes à risque» : « Dès maintenant, je commande à nouveau tous mes achats quotidiens en ligne»: ce Zurichois de 40 ans souffrant d’hypertension évitera dorénavant les magasins, où le masque ne sera plus obligatoire. «Nous devrons faire encore plus attention, explique aussi Eveline Siegenthaler, qui a créé la communauté d’intérêt pour personnes à risques IG-risikogruppe.ch. Nous avons le sentiment que Berne nous laisse tomber.» Pour de nombreuses personnes immunosupprimées ou souffrant de maladies chroniques, le vaccin ne fonctionne pas – ou pas suffisamment. Eveline Siegenthaler fustige la fin du masque obligatoire dans les magasins. «Les scientifiques estiment que le risque de contracter le virus est bien plus élevé quand une seule personne est masquée dans une foule qui ne l’est pas.» Autre mouvement ayant mis en garde, Corona-Mahnwache («veillée Corona») trouve les décisions d’hier «inadéquates»: «La Suisse oublie sa tradition humanitaire qui voudrait qu’elle essaye de protéger la santé de la population», regrette le cofondateur Roman Bolliger. «Le Conseil fédéral délègue ses responsabilités à la population. C’est donc à cette dernière de se montrer plus raisonnable que le gouvernement.»

Et la Tribune de nous dire maintenant que le Covid tue à Genève: « Genève en a déploré 14 dus au Covid sur les 16 premiers jours de février, soit près d’un cas par jour. C’est un peu mieux qu’en décembre ou en janvier, des mois de 31 jours qui ont totalisé respectivement 40 et 35 décès. ». Le quotidien genevois fait un tour des lieux à risques avec Antoine Flahault et Didier Trono.

Interrogé sur les ciné et théâtres, Trono recommande de porter le masque, parce qu’«on ne sait pas à côté de qui nous sommes assis». Pourtant, il semble avoir compris la notion d’aérosol puisque en parallèle il indique que dans son laboratoire, une vingtaine d’employés portent le masque FFP2 depuis deux ans : «Nous n’avons eu aucune infection au travail. Ce dispositif retient 50 à 80 fois plus le virus que le masque chirurgical.»

N'aurait pas pu dire cela clairement, publiquement et de manière répétée avant aujourd'hui !?! On se souvient également qu'il y a quelques mois, Samia Hurst, indiquait sur Twitter utiliser un appareil de mesure du CO2 pendant ses cours. Pour des gens qui sont à des positions de pouvoir, souligner des pratiques vertueuses tandis que le reste du monde peut bien se débrouiller avec les recommandations officiels (que ces gens contribuent à produire) coïncide bien avec la façon très individualiste d'envisager des questions pourtant évidemment sociales.

La Tribune relaie désormais aussi clairement l'idée d'une transmission aérosole tempérée par le port du masque et spécialement par le port de masques FFP2 : « Antoine Flahault souligne que, tant que la circulation du virus est élevée, l’abandon du masque représente un danger pour les plus fragiles. Un tableau du journal «El País», basé sur des données d’instituts de santé publique américains, montre que, si deux personnes portent un masque chirurgical dans un lieu fermé et sans ventilation, il y a un risque de transmission au bout d’une heure. Or, si une seule le porte, on passe à trente minutes. »

Complications post-Covid chez les enfants (PIMS), en Suisse pas de recensement systématique

La mère d’un enfant de 10 ans hospitalisé pendant deux semaines suite à un syndrome inflammatoire multisystémique (PIMS-TS ou MIS-C), une réaction tardive au Covid, témoigne : « Le Covid-19 était censé donner des symptômes légers chez les enfants, mais notre fils était en immense souffrance, à demi-conscient et avec tous ses organes en état d’inflammation. ». « Il y a des cas dans toutes les classes, dans tous les cours de sport, dit la maman, qui continue à s’inquiéter, tout en ne parlant pas trop autour d’elle de l’épreuve que son fils et sa famille ont traversée. «Quand d’autres mamans m’informent que leur enfant a le Covid, je ne leur dis rien, je n’ai pas envie de les inquiéter(...).» Aujourd’hui, elle s’est décidée à en parler: «Il faut que les parents sachent à quoi faire attention chez leurs enfants.» »

Dans un autre article, on précise que:« Personne ne connaît le nombre véritable d’enfants qui ont été touchés par cette maladie. L’Office fédéral de la santé publique (OFSP) a recensé 131 cas de PIMS entre le début de la pandémie et le 2 janvier. Ils font partie des 780 enfants hospitalisés avec le Covid pendant cette période. Une trentaine de cas de PIMS ont été traités aux HUG. Trente autres ont été admis au CHUV, et ne figurent pas dans les statistiques très partielles de l’OFSP. (...) Quel est le risque pour un enfant de développer un PIMS? Des données complètes et récentes permettent de suivre l’évolution du nombre de cas en France ou aux États-Unis. Fin janvier, Santé Publique France avait enregistré 932 PIMS, dont un décès. Cela permet d’estimer l’incidence cumulée à 5,9 cas pour 100’000 enfants. Aux États-Unis, un total de 6851 cas de PIMS, dont 59 décès, a été enregistré par les CDC (Centers for Disease Control and Prevention). Cela représente 8,2 cas pour 100’000 enfants. En Suisse en revanche, aucun registre ne recense tous les patients de la forme légère à la forme grave de PIMS. «Je ne sais pas s’il y a quelqu’un qui peut dire combien il y a de cas», résume Marie-Hélène Perez, médecin-chef des Soins intensifs et intermédiaires de pédiatrie au CHUV. L’Office fédéral de la santé publique (OFSP) effectue un décompte partiel sur vingt hôpitaux, qui n’inclut pas le CHUV. «Si le recensement se faisait précisément, c’est là qu’on aurait des données pédiatriques, estime la doctoresse Perez. Durant cette pandémie qui a touché majoritairement les adultes, les enfants ont été un peu oubliés.» »

Contre la position de l'OMS, une levée des mesures généralisée

Tout à l’opposé de ce que le Danemark et la Suisse ont fait, à savoir abandonner d’un coup quasi toutes les mesures, l’OMS recommande une approche par étapes, une «slow approach»

Ailleurs, des gouvernements néolibéraux s'engagent dans la même voie que la Suisse. Ainsi l'Allemagne « va commencer à lever ses restrictions (...), va s’engager dans un plan d’assouplissements en trois étapes visant à supprimer «une grande partie des restrictions actuellement en place» d’ici le 20 mars prochain. Le chancelier Olaf Scholz appelle toutefois la population à continuer à porter le masque, car «la pandémie n’est pas terminée».

En France : « le gouvernement a indiqué ce mercredi envisager la fin du port du masque en intérieur pour les adultes et les enfants «à la mi-mars», ainsi qu’un allègement du pass vaccinal à cette date, si la circulation du virus est «très faible». ».

En Irlande, c'est le démantèlement de la « National Public Health Emergency Team »

Pour Antoine Flahault qui énonce quelques chiffres de mortalités officiels à cause du Covid sur trois jours de la semaine (les 16, 17 et 18 février, aux USA, c'est 3083, 3223, 2459 décès; en France, c'est 276, 287, 304 mortexs; en Espagne, c'est 444, 360, 288 personnes décédées; en Italie, c'est 278, 320, 314 décès) : «Les pays européens mais aussi les USA devraient s’engager dans une politique ambitieuse visant zéro décès et cesser de tolérer que s’égrènent quotidiennement des chiffres effarants de mortalité.» Et ce qu’il faudrait faire à présent, selon lui, c'est mettre en place une surveillance en trois axes que rapporte la Tribune de Genève.

« Plutôt que de baser les statistiques sur les tests de volontaires, au risque d’obtenir des résultats imprécis, mieux vaudrait constituer un échantillon représentatif de la population dont la salive serait analysée régulièrement. Autre chantier à lancer, l’amélioration de la qualité de l’air en intérieur. «Plus de 99% des contaminations surviennent dans des lieux clos, mal ventilés et qui reçoivent du public, relève Antoine Flahault. Nous passons 90% de notre temps dans ces lieux.» Le professeur appelle enfin à poursuivre la recherche en matière de traitements, de tests et de vaccins anti-Covid. Et de faire en sorte qu’ils ne restent pas en mains des seuls riches. «Les pays les plus pauvres de la planète doivent pouvoir disposer de ces outils diagnostiques, des vaccins et des médicaments efficaces, c’est un enjeu mondial, exhorte Antoine Flahault. La Suisse, qui héberge l’OMC, mais aussi l’OMS et GAVI, n’est-elle pas particulièrement bien placée pour défendre et promouvoir un accès large et équitable aux innovations médicales?»

Mais comme on l'a vu plus haut, l'heure est au démantèlement des structures de traçage de contacts dont les employéexs mal payéexs et sans statut sont priéexs par la Tribune de Genève de «se réorienter».

Après la mortalité, la morbidité et le handicap

En plus de générer les conditions propices à l’émergence de nouveaux variants, la politique néolibérale du laisser-circuler le virus du Covid engendre des problèmes de santé à long terme pour des millions de personnes. Nature propose une perspective historique sur le sujet et éclaire sur la morbidité (c.a.d le nombre de personnes malades dans une certaine population durant un temps donné) et le handicap à cause du Covid à venir. Nous proposons de larges extraits de cet article en traduction française au format PDF.