Automne hiver 2022 - partie 1

Suivi pandémique intermittent du Silure

Après six mois de suivi hebdomadaire en début d’année 2022, nous annoncions un ralentissement du rythme des publications sur ce site. Nous voulions avancer dans l’écriture d’un texte plus long revenant sur deux années de gestion de la pandémie, sur les cadrages qui se sont imposés à la faveur du vaccin et sur l’abandon et la négligence des pratiques de protection contre le Covid-19 par les autorités sanitaires et politiques. Ce texte est désormais en phase de correction et devrait paraître ce printemps sous une forme à déterminer.

En attendant, nous proposons une revue d’actualité de ces derniers mois qui ont vu la poursuite de la politique de libre circulation du virus dans les populations et l’intensification de cette circulation à la faveur de l’hiver. Les connaissances sur les affections graves et durables produites par le Covid-19 s’approfondissent tandis que les autorités sanitaires et politiques ont évacué la maladie et les moyens de protection de leurs préoccupations.

À Genève, où notre collectif est basé, des élections cantonales auront lieu au printemps. Les élu.exs auront la possibilité de prendre des mesures de protection notament dans les écoles qui dépendent en Suisse des autorités cantonales. Dans les premiers entretiens accordés à la presse locale, aucun.ex candidat.ex n’a fait état de sa volonté d’entreprendre quoi que ce soit à ce niveau. Un bel encouragement à s'abstenir!

Surmortalité persistante et hypothèses explicatives

Contrairement aux prévisions optimistes, le taux de mortalité en Suisse ne diminue pas après les premières années de pandémie. La surmortalité, en particulier chez les personnes de plus de 65 ans, continue d’être très élevée en 2022. Pourtant, «l’effet de moisson» connu des démographes aurait dû faire baisser la mortalité après les pics enregistrés en 2020-2021. En effet, si une forte mortalité a lieu pendant un événement particulier, une partie des décès qui auraient dû survenir après cet événement n’ont pas lieu - les personnes sont déjà mortes - et la mortalité diminue. On est loin de ce scénario puisque après trois ans de pandémie, la surmortalité ne se réduit pas. Ainsi l’idée que ces personnes âgées décédées à la suite d’une infection au Covid-19 seraient mortes de toute façon, tôt ou tard, ne se verifie pas dans les faits.

Selon la Tribune de Genève, fin octobre «Rien qu’au cours des trois dernières semaines, il y a eu 650 décès supplémentaires, soit environ 20% de plus que la normale. Une telle augmentation durable de la mortalité est sans précédent, comme le montrent les statistiques de mortalité de l’Office fédéral de la statistique (OFS).»

Interrogé par le quotidien genevois, Martin Röösli, épidémiologiste déclare: «Je suis particulièrement surpris par la surmortalité chez les plus de 65 ans depuis fin septembre. Cela dit, tout l’été a également été très frappant. Comme beaucoup d’autres experts et expertes, je reste perplexe quant aux raisons. [...] Par exemple, les personnes ayant contracté le Covid-19 pourraient être plus sensibles à la chaleur, aux infections ou à d’autres événements.» Il ajoute également que la pénurie du personnel soignant et la dégradation des soins médicaux pourraient également être une cause possible des décès supplémentaires.

Si la Suisse manque de données pour affiner la compréhension de la surmortalité, à Singapour de telles données existent. Ainsi le Ministère de la santé local a pu en septembre 2022 affirmer que la surmortalité dans ce pays concernait exclusivement les personnes qui avaient été infectées par le Covid-19 qui soit a tué immédiatement, soit a aggravé des maladies existantes provoquant leur décès dans les trois mois suivant l’infection. 

«Nous savons depuis longtemps que les personnes âgées ayant des antécédents médicaux meurent davantage lors d’infections virales aiguës, car elles n’ont pas suffisamment de réserves en matières de santé pour tolérer en plus une maladie» apporte le médecin-chef de la politique méidcale de l’Hôpital cantonal de Winterthour interrogé dans la Tribune de Genève. Dommage que dans cet article, titré «Beaucoup pensent à tort qu’il n’y a plus de danger», le journaliste ne pose pas sérieusement la question du comment on en est arrivé à ce faux sentiment de sécurité vis-à-vis du Covid-19; la responsabilité tant des politicien.nexs que des médias n’est pas questionnée dans la presse bourgeoise.

Un article de la NZZ fait le point sur les chiffres et les hypothèses explicatives. Il exclut également l’hypothèse qui a instantanément fait fureur parmi les opposant.exs au vaccin, à savoir que le vaccin serait à l’origine de cette surmortalité. Lire la traduction française (automatique) ici

Circulation de multiples virus et fausse hypothèse de la «dette immunitaire»

La précocité de l’apparition de la grippe saisonnière ainsi que l’ampleur de l’épidémie de bronchiolite (Virus respiratoire syncytial) a permis l’apparition d’un cadrage individualisant supplémentaire, la dette immunitaire. Selon un certain nombre de médecins français.exs, bientôt rejoints par une bonne partie de la presse, les deux phénomènes (grippe et VRS) s’expliqueraient par une «dette immunitaire» individuelle liée aux mesures de protection contre le Covid-19. Dans la ligne de la Déclaration de Great Barrington, la conclusion de ce discours sur la soi-disant dette immunitaire serait que les mesures de protections auraient un effet plus grave que l’infection elle-même.

Comme le rappellent des soignant.exs dans une tribune du Quotidien du médecin du 16 décembre: «Le concept « sexy » de dette immunitaire ne fait pas consensus car il ne repose sur aucune preuve épidémiologique ou expérimentale et souffre de nombreuses incohérences». Ce concept est en fait une forme d’individualisation d’une phénomène collectif connu et étudié, la lacune immunitaire (immunity gap) qui peutêtre décrit comme suit:

Si une proportion d’individus au sein d’une population est immunitairement naïve vis-à-vis d’un pathogène, cela expose toute la population à l’émergence d’une épidémie avec explosion du nombre de cas de la maladie associée, non pas à cause d’une augmentation de la virulence du pathogène, ni d’un «affaiblissement» du système immunitaire des individus naïfs, mais parce que le pathogène se propage facilement en l’absence de mémoire immunitaire spécifique (aussi en cas de couverture vaccinale insuffisante ou persistance limitée de la mémoire spécifique). Or, la théorie de la dette n’est pas équivalente à l’immunity gap, car ses auteurs postulent, sans le démontrer, un affaiblissement du système immunitaire inné (et non adaptatif) à l’échelle individuelle et non populationnelle.

Ce type de cadrage permet de renforcer les discours des autorités sur la responsabilité individuelle et de soutenir tout un marché de la stimulation immunitaire.

Dans le cas spécifique du Covid-19, on peut lui opposer des arguments très facilement compréhensibles:

  • Les pays qui n’ont pris aucune ou très peu de mesures de protection, comme la Suède, la Norvège ou la Suisse, subissent également une épidémie de grippe et de VRS (en Suisse, l’épidémie de VRS a surchargé les services de pédiatrie).
  • Dans le cas du VRS chez les enfants en bas âge, le virus touche particulièrement des enfants qui n’étaient pas nés, voire pas conçus, au moment des mesures de confinement.
  • Les choix de politiques sanitaires suivis jusqu’ici avec succès (choléra, polyomiélite, etc.) consistaient à limiter l’exposition aux pathogènes en limitant leur circulation plutôt qu’à exposer les populations pour «stimuler» leur immunité.

Comme le relèvent encore les auteur.icexs de la tribune du Quotidien du médecin, il est assez curieux de voir le langage de la finance s’immiscer jusque dans le vocabulaire de la santé. On connaissait le «capital santé», très présent dans les revues de pharmaciens; on connaît maintenant la «dette immunitaire».

Surcharge des services hospitaliers

Les chiffres instantanés montrent que depuis cet automne différents services hospitaliers connaissent des situations de surcharge dues à la circulation du covid-19 et aux autres épidémies (grippe, bronchiolite). Voir ici et et et ou encore

A ces chiffres instantanés s’ajoutent les chiffres consolidés de l’Office fédéral de la statistique qui montrent que les hospitalisations avec une infection au Covid-19 confirmée en laboratoire ont été deux fois plus élevées en 2020 et 2021 que le laissait entendre l’Office fédéral de la santé. Ainsi, c’est pratiquement 1% des résidentexs qui ont été hospitaliséexs avec le Covid-19, ce qui représente un taux d’hospitalisation de 200 à 300 hospitalisations pour 100'000 cas. A titre de comparaison, les hospitalisations liées aux effets secondaires du vaccins sont de 2 pour 100'000 vaccins. Cette correction statistique est assez grave sur le plan politique, car toute la mise en oeuvre des dispositifs de protection était basée sur des chiffres qui s’avèrent grossièrement imprécis.

Prévoyant une augmentation des hospitalisations dues au Covid-19 pour l’hiver qui viendraient s’ajouter au problème persistant de pénurie de personnel hospitalier, trois associations - la Société Suisse de Médecine Intensive (SSMI), la Fédération suisse des médecins (FMH) et la faîtière des hôpitaux H+ - tentaient d’alerter fin octobre 2022 sur la surcharge à venir des services hospitaliers. L’ATS relayait leurs demandes: aux politicien.nexs, une amélioration des conditions de travail afin de garantir les effectifs des soignantexs et des médecins encore existants et, à la population, le suivi des mesures d’hygiène. A noter que l’ATS ne clarifie pas ce que mesures d’hygiène signifie, le mot "masque" est absent, celui d’"aération" également. Méconnaissance ou tabou ? Au même moment, la directrice des CDC aux Etats-Unis, alors infectée par le Covid-19, invitait la population étatsunienne à se protéger des infections respiratoires qui augmentaient en se vaccinant contre le Covid et la grippe, en restant à la maison lors de maladie et... en se lavant les mains! Là aussi rien sur les masques et l’aération. C’est ici

Stratégie du tout vaccinal plus si vaccinal du tout

Comme le soulignait à la mi-novembre l’épidémiologiste Antoine Flahault les gouvernements européens ne semblent vouloir proposer qu’une stratégie “tout vaccinal” pour faire face à la 9ème vague du Covid-19. Or d’une part, début novembre de nombreux.sexs scientifiques réclamaient d’autres mesures. En vain... D’autre part, alors que nous allions traverser cette nouvelle «vague, comme la précédente, sans masque, ni capteurs de CO2, ni aération, ni filtration», l’épidémiologiste questionnait «mais l’aborde-t-on seulement “tous vaccinés”, comme on aimerait au moins s’y attendre? Pas en France où seuls 10-15% des 60+ ont eu leur dose de rappel.»

Cadrage des vagues et appauvrissment des outils de prévention

En 2020, 2 vagues. En 2021, 2 vagues. En 2022, 5 vagues. Le cadrage des vagues ne participerait-il pas davantage à nous empêcher de comprendre la pandémie plutôt qu’à nous aider à la saisir ? À raison de cinq vagues annuelles par an d’une durée d’un mois et demi chacune, on peut se demander s’il ne vaudrait pas mieux constater un taux élevé de contamination en permanence avec un léger relâchement en période estivale.

Et pendant ce temps la Suisse appauvrit ses moyens et ses outils permettant de capter la pandémie pour mieux s’en protéger, en réduisant la surveillance des eaux usées, en diminuant le financement du séquençage et en rendant payant les tests de dépistage.

Covid-19 et pollution atmosphérique

L’épidémiologiste Antoine Flahault relaie un article (https://www.medrxiv.org/content/10.1101/2022.11.16.22282100v1) qui analyse différentes études montrant que la pollution par particules fines (PM2.5) augmente le risque de Covid-19, et dans une moindre mesure celui d’hospitalisation et de décès, après prise en compte du niveau socio-économique de la population. Selon Flahault : «il y a de bons arguments pour penser que cette relation entre la pollution atmosphérique et l’infection de Covid-19 est de nature causale. La pollution par fine particules devrait être considérée aujourd’hui comme un facteur de risque de Covid sévère et de décès. L’hypothèse serait que les PM2.5 semblent agir comme de véritables abrasifs sur l’épithélium de l’arbre respiratoire supérieur, favorisant la transmission. De plus, les PM2.5 pénètrent profondément dans l’arbre respiratoire pulmonaire, causant une sévérité accrue.»

Ressources

Sites internet

Le site de Juliette Volcler et complices, L’Intempestive, propose depuis quelques semaines une liste très complète et tenue à jour de ressources de toutes natures (textes, sons, images) pour comprendre et expliquer les aspects bio-médicaux et les aspects politiques de la pandémie. Des ressources pratiques pour se protéger mutuellement sont également proposées. C’est ici: https://autodefensesanitaire.fr/

Un syndicat important de la fonction publique britannique a choisi de mettre à son programme de revendications la question de l’assainissement de l’air dans les écoles. Leur site permet de voir le type d’actions collectives d’explications et de revendications qui pourraient être mises en place par des syndicats, des associations de parents, des associations d’élèves ou d’étudiant.exs.

L’émission de Fréquence Paris plurielle Zoom écologie propose une émission d’heure qui veut être un bilan critique du courant anti-industriel en France. Sans volonté polémique, mais sans complaisance non plus, les animateurs de l’émission soulignent d’abord l’importance qu’a pu avoir pour leur parcours politique certains texte de L’Encyclopédie des nuisances, de Pièces et main-d'oeuvre ou encore des éditions de La Lenteur. Ils relèvent ce qui continue de les intéresser dans ces propositions, mais soulignent leur perplexité et leurs désaccords face à des prises de position sur la question du Covid-19 qui ne peuvent être qualifiées autrement que d’eugénistes. S’agit-il d’une évolution des positions de ce courant ou d’une plus grande attention au contenu effectif de ces théories qui ont pour elles l’aspect séduisant de la radicalité et de la simplicité? Le fait que des positions très réactionnaires aient déjà été dénoncées et discutées sur des questions comme la transsexualité ou la gestation pour autrui plaiderait plutôt en faveur de la deuxième hypothèse.

Lecture en papier

Au moment où la politique du Parti communiste chinois vient de changer - au moins en apparence et dans les discours - du tout au tout relativement au Covid-19, on peut recommander la lecture de Contagion sociale: guerre de classe et pandémie en Chine par le collectif Chuang qui vient de praître aux éditions Niet.

Publié d’abord en anglais chez Charles H. Kerr en octobre 2021, Contagion sociale est un livre composé de textes écrits à différents moments de la pandémie (le texte qui donne son titre au volume date de février 2020, c’est-à-dire au moment où la pandémie débute en Europe). L’essai principal, «La pandémie éclaire la grande unité de tout sous le ciel: sur l’État qui vient», est un long inédit qui tente un bilan après une année de pandémie. Il faudrait consacrer une longue recension à cet ouvrage et notamment éclaircir les conditions de son existence et de sa diffusion, mais surtout discuter plusieurs thèses qui y sont développées. Le collectif Cabrioles12 a proposé mi-décembre un dossier sur la Chine dans lequel l’ouvrage de Chuang trouve une place importante.

Dans l’immédiat, nous nous concentrons ici sur un aspect de l’essai principal: la question de l’auto-organisation face à la pandémie et son interprétation politique. La thèse centrale du collectif Chuang est que, contrairement au récit exotisant de la presse et des autorités occidentales, le pouvoir central Chinois a fait, face à la pandémie, la preuve de son impuissance plutôt que celle de sa puissance sans contrôle. Le collectif rejoint en quelque sorte l’analyse de Jacques Rancière selon laquelle les gouvernements ont surtout montré leur faiblesse et que si les populations se sont protégées tant bien que mal de la propagation du virus, c’est en raison même de cette faiblesse plutôt que, comme le voudrait Giorgio Agamben, en raison de la force des États.

Cependant, le collectif Chuang refuse d’attribuer une valeur politique subversive à l’auto-organisation des populations chinoises:

En Chine, la pandémie n’a pas été endiguée grâce au pouvoir omniscient du Parti-État, mais par la mobilisation massive et volontaire des gens ordinaires. Toutefois, il serait faux de faire de cette mobilisation l’expression de l’entraide chère aux anarchistes et autres gauchistes. [...] cette coopération a aussi pris la forme d’une collaboration avec l’État. Les groupes de volontaires ne se sont que rarement positionnés contre le gouvernement [...]» (p. 273)

Cet aspect de l’interprétation proposée par le collectif semble particulièrement important. Trop souvent en effet - on peut penser aux textes produits par des groupes proches des autrices et des auteurs de L'Appel au début des années 2000 sur le tremblement de terre de L’Aquila ou sur les effets de la crise financière an Argentine -, une catastrophe est lue positivement pour ce qu’elle pourrait révéler de potentialités d’organisation politique. Mais, comme le remarque Chuang pour les groupes d’entraide chinois: «les tentatives d’entraide ont été bien plus éphémères que le moindre conflit du travail.»

Cette vision conduit le collectif à proposer trois critères qui auraient permis à ces forme d’auto-organisation d’acquérir un contenu politique: l’inertie, l’antagonisme et la sécurité (pp. 253-256). L’inertie serait la capacité des groupes à se maintenir au-delà de leur tâche momentanée en dehors d’un système philanthropique ou étatique. L’antagonisme serait la «capacité de ces organisations de s’opposer à l’État et à l’organisation actuelle de la société». Enfin, la sécurité désigne la capacité à anticiper la répression que cet antagonisme peut déclencher.

Si ces trois critères sont marqués par la situation chinoise, il pourraient servir de base de réflexion sur les initiatives philanthropiques que le Covid-19 a produites ici également, en particulier pendant le confinement du printemps 2020 et qui sont restées sans lendemain sur le plan politique. Si tout le monde s’est brièvement ému des distributions alimentaires à la patinoire des Vernets aucune organisation politique critiquant les causes de la pauvreté ainsi révélée n’a émergé.

Ces trois critères pourraient également servir à enrichir la définition de l’autodéfense sanitaire pour s’assurer dans la durée qu’il ne s’agit pas seulement de défendre le «capital santé» d’une fraction éclairée de la bourgeoisie, mais bien d’une volonté de s’opposer «à l’organisation actuelle de la société».