Semaine du 23 au 29 mai 2022

Les connaissances s'accumulent sur les conséquences à moyen et long terme des infections au Covid, nous relayons ici des études qui rapportent des observations de symptômes, formulent et discutent des hypothèses sur les rapports de causalité. Tout ce travail scientifique est favorisé par l'ampleur des contaminations (les études statistiques disposent de cas nombreux) lors de la deuxième vague (automne 2020), les connaissances seront renforcées d'ici six mois par l'étude des conséquences de l'immense vague de ce début d'année. Mais cette accumulation de connaissances semble n'avoir aucun effet dans l'ordre politique. Rien n'est prêt et rien ne semble se préparer pour la rentrée des classes de cet automne qui sera l'occasion d'une nouvelle vague épidémique.

Les éléments que nous rapportons ici, semaine après semaine, et qui ressemblent à de petites notes disparates posent une question fondamentale: quel rapport entre connaissance scientifique et action politique. L'histoire de la seconde moitié du XXe siècle est marquée par un divorce de plus en plus net entre ces deux sphères dès lors que la connaissance scientifique questionne le capitalisme: Combien de temps entre la connaissance des méfaits de l'amiante et l'arrêt très progressif de son utilisation? Combien de temps entre la connaissance du mécanisme du dérèglement climatique et des mesures visant à le limiter? Combien de temps entre la connaissance des méfaits du tabac et son interdiction dans les lieux publics? Dans tous ces cas, comme dans celui du Covid, lâcheté, incompétence, goût du pouvoir et appât du gain se combinent pour conduire à des catastrophes dont les victimes sont invisibilisées pour perpétuer un ordre économique injuste.

  • Un miracle helvétique
  • Pas de stratégie pour l'automne
  • Ni mesures de protection, ni veille sanitaire sérieuse, ni mesures pour améliorer la qualité de l'air
  • Burn-out professionnel des urgentistes
  • Covid Long : 1 personne sur 5
  • La faute aux politiques néolibérales (une étude belge)
  • Quelques lectures
  • Dissection du rapport fédéral d'évaluation (suite et fin)

Un miracle helvétique

Nous avons fait état des cas d'hépatite fulgurante qui frappent un nombre important d'enfants de part le monde. La Suisse semble épargnée: est-ce parce que les cas ne sont pas recensés ou parce que l'absorption de Cenovis protège contre les maladies du foie? On le saura sans doute d'ici un an ou deux quand quelqu'un aura pris la peine de compiler les statistiques hospitalières.

Pour l'heure, Twitter reste une bonne source d'information sur les maigres connaissances de cette affection. On peut lire par exemple ce fil de l'épidémiologue Deepti Gurdasani.

Pas de stratégie pour l'automne

Un article paru le mardi 17 mai dans la Tribune de Genève fait état de la volonté du gouvernement fédéral de ne rien mettre en place en vue de l'inévitable reprise pandémique de l'automne. C'est sous couvert de fédéralisme - mais aussi en cohérence avec les recommandations du rapport d'évaluation (lire ci-dessous) - que le gouvernement renonce à prendre des mesures qui devraient être prises, selon lui, par les cantons.

Il faut rappeler que les cantons n'ont pratiquement plus aucun pouvoir sur la planification hospitalière qui est une compétence fédérale non dite depuis l'entrée en vigueur de la LaMal en 1996.

Quoi qu'il en soit, il sera intéressant de voir si des gouvernements cantonaux envisagent de profiter de cette absence de centralisation pour prendre les mesures infrastructurelles nécessaires dans les écoles. Ce passage des compétences aux cantons pourrait aussi favoriser des pressions politiques et syndicales dans des contextes locaux plus favorables à une écoute des corps intermédiaires. Dans l'ensemble, cela reste une très mauvaise nouvelle dans la mesure où il paraît vain de renoncer à harmoniser les mesures de lutte sur un territoire aussi petit que la Suisse.

Ni mesures de protection, ni veille sanitaire sérieuse, ni mesures pour améliorer la qualité de l'air

Alors que le Conseil d’État décide de lever les dernières mesures de protection contre le Covid-19 à Genève -- il annonçait cette semaine qu'à partir du 30 mai, le port du masque ne sera plus obligatoire dans les hôpitaux, les cliniques ou les établissements médico-sociaux (EMS) -- on ne peut toujours pas compter en Suisse sur une visibilité fiable ni du nombre de cas ni des variants du Covid-19.

Interrogé cette semaine dans Science et Avenir, l'épidémiologiste Antoine Flahault décrit la situation de la pandémie en Europe de l'Ouest :

«Au Portugal, il s'agit bien d'une nouvelle vague. Mais nous n'avons pas un très bon aperçu de la situation en Europe de l'Ouest, à part au Royaume-Uni et au Danemark qui séquencent beaucoup leurs virus. Le Portugal bénéficie lui-aussi d'une bonne plateforme de séquençage. En revanche, la France ne dispose pas d'une aussi bonne veille sanitaire qu’au Royaume-Uni. Certains pays comme la Suisse séquençaient déjà assez peu et ont levé les budgets alloués, ce qui a ralenti le nombre de tests positifs séquencés. Les tests antigéniques rapides ne permettent pas de connaître le variant par lequel un malade a été infecté.»

C'est devenu comme une signature, il termine son entretien par un appel à agir sur la qualité de l'air intérieur:

«On doit maintenant [...] accorder une attention particulière à l’amélioration de la qualité de l'air intérieur et miser enfin sur la ventilation des locaux fermés. Nous passons 90% de notre temps à l'intérieur, c'est là qu'on lieu 95% à 99% des contaminations par le SARS-CoV-2. Il est grand temps de se pencher sur les différents moyens d'améliorer la qualité de notre air pour le rendre aussi sûr sur le plan microbiologique que l’air extérieur où l’on ne se contamine pas ou très rarement.»

Combien de vagues et de variants de Covid, de mortexs duexs au Covid, de Covid Long, de burn-out de soignantexs faudra-t-il pour que les gouvernants en Suisse s'attaquent à la question de l'air en intérieur ?

Burn-out professionnel des urgentistes

62% des urgentistes questionnéexs souffrent d'au moins un symptôme d'épuisement professionnel, rapporte France Info se référant à une étude réalisée par la Société européenne de médecine d’urgence et publiée cette semaine dans l'European Journal of Emergency Medicine. Environ 2'000 professionnellexs des urgences, surtout des médecins mais également des infirmierexs et du personnel paramédical, de 89 pays ont répondu à un questionnaire durant les mois de janvier et février 2022. On apprend que les femmes et les infirmierexs sont celles qui souffrent le plus: 73% d'infirmierexs contre 60% de médecins ou encore 64% de femmes contre 59% d'hommes rapportent souffrir d'épuisement professionnel. Enfin plus de la moitié des personnes ayant répondu à l'étude témoignent ne pas avoir eu accès à un soutien psychologique.

Covid Long : 1 personne sur 5

Lematin.ch fait état d'une étude parue cette semaine dans laquelle les autorités sanitaires états-uniennes décrivent les conséquences du Covid-19. Les personnes qui ont été infectée par le Covid-19 sont deux fois plus susceptibles que les autres de développer une embolie pulmonaire ou un autre problème respiratoire. Une personne sur 5 parmi les personnes âgées de 18 à 65 qui ont eu le Covid-19 et une personne sur 4 chez les plus de 65 ans souffrent d'un symptôme après l'infection qui puisse lui être attribué.

Cette étude s'ajoute à d'autres qui estimaient déjà qu'environ 20 à 30% des personnes ayant ont été infectéexs par le Covid-19 expérimentent des symptômes sur le long terme et qui est nommé Covid long. Les Centres de prévention et de lutte contre les maladies (CDC) ont comparé les symptômes de plus de 350'000 personnes ayant eu le Covid à des patientexs n'ayant pas eu le Covid aux Etats-Unis. 26 problèmes de santé sont potentiellement dus au Covid, ceux le plus souvent expérimentés étant les symptômes respiratoires et les douleurs musculo-squelettiques.

A la question est-ce que la vaccination protège du Covid Long, les auteurexs d'une autre étude parue dans Nature medicine répondent que les vaccins réduisent modestement les risques de Covid Long, mais ne l'éliminent pas. Six mois après leur diagnostic initial de Covid, les personnes de l'étude qui ont été vaccinées n'avaient qu'un risque légèrement réduit de souffrir de Covid Long, 15% au total. Un résumé des constats de l'étude se trouvent sur ce fil Twitter. Comme le rappelle sur Twitter Christina Pagel, mathématicienne et professeure de recherche opérationnelle à l'University College London, nous devrions conclure de ces résultats que la vaccination ne suffit pas. Il faut ajouter d'autres outils en plus des vaccins.

La faute aux politiques néolibérales

Le Brussels Times présente les analyses de Koen Byttebier, professeur d'éthique socio-économique à la Vrije Universiteit Brussel (VUB) à Bruxelles, qui s'est intéressé aux facteurs politiques et idéologiques dans l'élaboration de la réponse à la pandémie de Covid-19 dans plusieurs pays en Europe et aux États-Unis. Sa conclusion : les politiques néolibérales sont au cœur des erreurs commises dans ces pays occidentaux. Les erreurs dans la prévention et dans la réponse à la pandémie sont, selon lui, dues en grande partie aux idéologies néolibérales qui font que tout est subordonné aux intérêts économiques. L'austérité y occupe une place centrale, en particulier la réduction du financement des services publics. Dans de nombreux pays, tels que la Belgique, cela a mené à une réduction progressive du nombre de personnels médicaux qualifiés, notamment dans les hôpitaux et les maisons de retraite. Byttebier détaille l'une des conséquences:

«Lorsqu'une pandémie telle que celle du Covid-19 se déclare, il n'y a plus de résistance systémique, car le nombre de places pour les patientexs dans les hôpitaux et leurs services de soins intensifs a diminué du fait de ces coupes. Ainsi, dans différents pays, les centres médicaux ont été très vite surchargés lors de la première vague.» (notre traduction).

En parallèle, souligne ce chercheur, la privatisation, pierre angulaire du néolibéralisme, est préjudiciable aux soins dans les maisons de retraite, puisqu'elle favorise le sous-effectif dans le but de réduire les coûts et d'augmenter les bénéfices des propriétaires. Selon M. Byttebier, la priorité donnée à la prospérité économique sur la santé publique s'est donnée à voir tout au long de la pandémie :

«Après seulement quelques semaines, les secteurs économiques, mais aussi de nombreux ministres, ont commencé à faire pression pour mettre fin à ces mesures. Dès que les infections ont recommencé à baisser à cause de ces mesures, tout le monde s'est frotté les mains et un appel a été lancé pour que l'économie soit rouverte.» (notre traduction).

Résultat : la deuxième vague de pandémie dans de nombreux pays a été au moins aussi grave, sinon plus que la première. S'en est suivi une sorte de politique en accordéon : des courbes qui baissent, des réouvertures de l'économie, puis de nouvelles mesures introduites peu après .... «Tout au long de cette histoire, vous avez toujours vu très clairement le rôle décisif joué par les appels à la réouverture de l'économie. » (notre traduction) résume-t-il.

Quelques lectures

Le site Cabrioles pour l'autodéfense sanitaire face au Covid propose plusieurs articles en traduction. On en conseillera deux en particulier: d'abord celui du militant italien Sergio Bologna qui montre, comme la sociologue française Laure Pitti dont nous avions relayé un article, que l'expertise populaire en matière de santé peut se baser sur une approche matérialiste et rationnelle du soin tout en revendiquant une autonomie vis-à-vis de l'état. Il s'appuie pour sa démontrstation sur les expérience des années 1970 en Italie. Moins fondé sur l'expérience passée, l'article «Perspective anarchiste sur les vaccins, les masques et l’égale liberté» rappelle que dans la tradition anarchiste, «toute atteinte à la santé d'autrui constitue [...] une propre forme de coercition».

Dissection du rapport fédéral d'évaluation (suite et fin)

Un dernier mot sur l'«Évaluation de la gestion de la crise COVID-19 jusqu’à l’été 2021», un rapport commandité par l'Office fédéral de la santé (OFS) évaluant les décisions des autorités sanitaires et politiques pendant la première année et demi de pandémie. Nous avons discuté, dans les semaines précédentes, de la place centrale qu'un sondage d'opinion tient dans ce rapport et des recommandations qu'il propose lesquelles coïncident parfaitement avec la position libertarienne exposée dans la Déclaration de Great Barrington (en substance: aussi peu d'intervention publique que possible).

Ce rapport a donc été commandé par l'OFS à un consortium d'entreprises privées d'évaluation des politiques publiques et d'universités. L'État ne semble plus capable de mettre en oeuvre lui-même des outils d'évaluation de ses politiques publiques. Nous avons souligné de nombreuses fois ici les défaillances de l'appareil statistique qui contribuent à obscurcir les mode de contamination et l'ampleur exacte des dégâts à long terme. Au lieu de rétablir des service de statistiques sanitaires dignes de ce nom, la Confédération paie des consultants soi-disant indépendants pour obtenir un travail complaisant. Car, pour ce qui est de l'indépendance de ces experts, on repassera: Infras et Interface sont des entreprises qui dépendent essentiellement de commandes publiques. Les cadres et les dirigeants de ces entreprises naviguent entre monde académique et réalisation de commandes publiques ce qui n'est une bonne chose ni sur le plan de l'autonomie scientifique ni sur le plan de l'indépendance avec les commanditaires. On peut se donner une idée du genre de mandats exécutés par ces entreprises ici et . Ce type d'entreprises, comme Mc Kinsey à petite échelle, sont de purs produits du néo-libéralisme et c'est en quoi il vaut la peine de s'y intéresser un peu ici.

Le professeur Andreas Balthasar qui apparaît comme premier auteur du rapport et «Gesamtleiter Evaluationsteam» est un bon exemple du genre de parcours des dirigeants de ces entreprises. Balthasar est à la fois à la tête d'un cabinet d'audit privé et titulaire d'une chaire à l'Université de Lucerne. En 1991, il fonde Interface entreprise avec laquelle il rédige le rapport d'évaluation. Dans le même temps, il enseigne l'évaluation des politiques publiques à l'université. Au titre de l'une ou l'autre de ses activités, il est membre du Zentrum für Hausarztmedizin und Community Care financé par le canton de Lucerne, du groupe d'experts Health2040 financée par l'Université de Lucerne et l'Office fédéral de la santé.

En 2002, pour les six ans d'application de la Loi sur l'assurance maladie (LaMal), Balthasar signe un article (en tant que dirigeant d'Interface) dans la revue de la l'Office fédéral des assurances sociales. Son entreprise avait en effet été chargée d'une partie de l'évaluation des premiers effets de l'assurance obligatoire. Comme dans le cas du rapport sur la gestion de la pandémie, cet article vaut surtout pour ses recommandations. Les éléments d'évaluation mis en oeuvre ne servant pour l'essentiel qu'à donner un aspect objectif à des recommandations à caractère politique. L'article sur la LaMal se conclut effectivement sur une dizaine de recommandations qui constituent la colonne vertébrale de la politique néo-libérale de santé publique. Balthasar recommande notamment à la Confédération d'«accélérer la réalisation et l’application de la planification hospitalière.», c'est-à-dire de fermer des lits d'hôpital ou encore de «se montrer nettement plus active en matière de garantie de la qualité et à y consacrer des moyens financiers», c'est-à-dire d'augmenter l'emprise du management dans les hôpitaux.

Sur une période de vingt ans, une personne comme Andreas Balthasar - et il est loin d'être le seul dans cette position - a contribué à façonner le système de santé suisse. Qu'il soit aujourd'hui appelé à évaluer l'action des autorités dans une situation où la politique qu'il a promue pendant vingt ans a montré ses limites donne raison à Jacques Rancière quand il écrit que: «l’autorité de la sciences économique avait programmé l’incapacité de la science médicale à répondre à des menaces de grande envergure sur la santé des individus».